Chronique

L’hypothèque parapluie en travers de la gorge… et pire encore

Si vous entrez dans une institution financière pour contracter une hypothèque, ne vous attendez pas à ce que le représentant vous conseille en long et en large sur cette transaction majeure de votre vie.

Il y a fort à parier qu’il vous menottera à la banque à l’aide d’une hypothèque parapluie pour ensuite mieux vous vendre un maximum d’autres produits connexes. Et peut-être même qu’il vous encouragera à mentir pour accélérer les démarches !

Je vous jure que je n’exagère rien. C’est le portrait alarmant qu’a dressé, hier, Marie Annick Grégoire, professeure de droit à l’Université de Montréal qui a mené une enquête sur le terrain en collaboration avec Option consommateurs.

Au départ, son étude devait porter sur les hypothèques parapluies qui sont devenues la norme dans les institutions financières, sans que les propriétaires s’en rendent trop compte.

Or, ce genre d’hypothèque peut être dangereux, notamment parce qu’il favorise le surendettement et parce qu’il réduit la capacité de négociation du client. Ce n’est pas pour rien que la France l’a complètement banni en 2013. J’y reviendrai plus loin…

Mais le constat de l’enquête est encore plus large et désolant. À de multiples égards, l’information transmise aux clients à propos de leur hypothèque est incomplète, inexistante ou inexacte, a réalisé Mme Grégoire en écoutant l’enregistrement des conversations de consommateurs qui ont conclu une hypothèque auprès de cinq grandes institutions financières.

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Au lieu d’expliquer clairement les conditions de l’hypothèque – qu’ils ne comprennent souvent même pas eux-mêmes –, les représentants des banques sont plutôt mandatés pour vendre toutes sortes d’autres produits : cartes de crédit, comptes bancaires, marge de crédit, alouette.

En particulier, ils mettent énormément de pression pour que le client contracte une assurance vie et invalidité avec leur hypothèque, ce qui est loin d’être la meilleure solution pour se protéger.

Un des représentants a même dénigré le programme d’assurances que le client détenait avec son assureur, pour l’encourager à souscrire une nouvelle assurance, quitte à être assuré en double.

Et lorsque les clients refusent l’assurance, les banques exigent systématiquement qu’ils signent un formulaire reconnaissant qu’ils ont compris les avantages de l’assurance, mais y ont renoncé en toute connaissance de cause. De quoi les faire douter de leur choix !

Mais ce n’est pas ça le pire. L’enquête démontre que dans certains cas, le représentant va jusqu’à inciter son client à mentir sur son état de santé ou à « interpréter » la question de manière large pour éviter d’avoir à obtenir un rapport du médecin, ce qui retarderait le processus.

Or, une fausse déclaration aura des conséquences épouvantables sur le client qui ne sera pas indemnisé en cas de maladie ou de décès. Tout ça à cause d’un représentant pressé que son client signe !

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L’enquête a fait ressortir d’autres situations qui m’ont scié les jambes. Un client s’est vu remettre un contrat bourré d’erreurs (ex. : mauvais taux d’intérêt). Malgré tout, le représentant a insisté pour qu’il signe le document, l’assurant que l’information avait été corrigée dans le système. Incroyable !

Un autre représentant a remis un contrat en anglais à un client francophone, en lui promettant qu’il recevrait le reste de l’information dans sa langue. Mais comment voulez-vous que le client comprenne ce qu’il signe ?

Remarquez que même dans notre langue maternelle, les actes hypothécaires sont quasiment incompréhensibles, à commencer par la clause qui porte sur les pénalités en cas de résiliation anticipée.

Ottawa a déjà promis de normaliser le mode de calcul de ces pénalités qui sont abusives, à mon humble avis. Mais finalement, le gouvernement s’est contenté d’une mièvre mesure de divulgation.

Savez-vous quoi ? Ça ne donne rien ! La plupart des représentants n’en parlent pas à leurs clients, même s’il s’agit d’une information obligatoire, a démontré l’enquête.

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Pour en revenir aux hypothèques parapluies, ai-je besoin de vous dire que les représentants n’expliquent pas non plus à leurs clients de quoi il en retourne ?

Avec ce type de prêt, la banque prend une garantie sur plus de 100 % de la valeur de la maison, ce qui permet de garantir toutes les dettes futures du propriétaire (carte de crédit, marge de crédit, prêt auto, alouette) sans avoir à repasser chez le notaire.

Mais le client est menotté à la banque. Il perd sa capacité de magasiner son taux d’intérêt lorsqu’il aura besoin de refinancement. Ce faisant, il n’obtiendra pas nécessairement un taux aussi bas que s’il avait pu négocier.

Malheureusement, ce n’est que lorsque le client arrive dans le bureau du notaire qu’il réalise que sa maison est hypothéquée au grand complet. Mais il est trop tard pour revenir en arrière lorsque le camion du déménageur est à la porte.

De toute façon, de nombreuses institutions financières n’offrent plus du tout d’hypothèques conventionnelles. Le gouvernement devrait au moins les forcer à proposer cette option, estime Option consommateurs, qui aimerait encore mieux qu’on bannisse carrément les hypothèques parapluies.

Peut-être que le gouvernement Trudeau, qui s’intéresse tant à la classe moyenne, jugera bon de se mouiller dans ce dossier ? Ou peut-être que la nouvelle ministre responsable des consommateurs, Lise Thériault, qui s’occupe aussi de l’habitation, réussira à intégrer les prêts hypothécaires dans la Loi sur la protection du consommateur dont ils sont pratiquement exclus ?

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